Il nous est tous plus ou moins arrivé de faire l’expérience de cette dilatation du temps nocturne en état de veille plus ou moins consentie. Ce n’est pas qu’on ne veuille pas s’abandonner à la nuit. On le voudrait au contraire mais une crispation de l’esprit nous en empêche Nous sommes dans un bruissement continu des pensées qui circulent en boucle ou se frottent les unes aux autres sans autre lien qu’une association sans logique consciente.
Leur entrechoquement permet à certains de rentabiliser ce temps de veille par la lecture ou l’écriture qui vient à point pour la concentration tandis que la ville s’ensommeille et plonge dans un relatif silence. On peut aussi s’adonner aux tâches rébarbatives du repassage ou de la poussière puisque rien ne vient nous en distraire et qu’elles deviennent alors nécessaires.
Pour d’autres, dont je fais partie, l’insomnie laisse chancelant, errant avec ce sentiment de perte de temps qui confine à l’épreuve.
L’insomnie pourtant atteste de la vitalité de notre esprit qui agence, met en forme, déforme, malaxe le réel afin d’en recueillir une substantielle part et se l’approprier hors de l’action journalière. Le quotidien s’impose souvent comme une habitude exécutée sans la pleine conscience du « signe » qu’elle exprime.
On peut encore voir ce temps comme celui de la libération de la rêverie qui porte à l’extérieur de nous-mêmes et nous engage à faire « un pas de côté » dans une dérive salutaire. Nous reprenons notre capacité à ne pas exister comme des robots. C’est plutôt une bonne nouvelle que ces retrouvailles avec un corps émotionnel !
Il me vient aussi ce très beau titre du roman de Marc Dugain que j’avais vivement apprécié : l’insomnie des étoiles – Ed Gallimard
… dont on peut entreprendre la lecture … en cas de très très forte insomnie ! Le temps n’en sera pas perdu.
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Ainsi ne pas pouvoir dormir tout en voulant dormir est un paradoxe qui libère l’imagination, la mémoire. C’est sans doute ce que certains recherchent pour n’être qu’à la création, tout entiers libérés des contingences de la journée. Mais dans le ressassement fréquent des mêmes pensées, il est aussi l’épreuve de notre nature inquiétée par le monde, par nous-mêmes.
Nous pouvons nous en extraire par la concentration sur le souffle peut rassurer, dit-on. L’agitation prend alors plus ou moins fin et le corps reprend son aise, sa place. Ce souffle à peine audible, nous l’écoutons comme le murmure d’une rivière, le vent dans les feuilles, une flamme qui nous fait entrer dans le clair-obscur d’un tableau de De La Tour. L’image « Madeleine à la veilleuse » glisse doucement dans l’ombre de la chambre et rend au moment sa calme intensité.
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