Quelle place pour les aquarelles dans la carrière du peintre ?

L’exposition que le Musée Jacquemart-André à Paris consacre en ce moment ( Eté 2020)  au peintre anglais William Turner fait une très large place  aux aquarelles qui préfigurent pour certaines d’entre elles  l’abstraction en peinture.

L’aquarelle était considérée depuis le XVIII° siècle comme un genre très anglais en alliant le goût prononcé des peintres pour le paysage à l’époque et les attentes d’amateurs d’art qui envisagent la peinture comme un moyen de rendre la sensation plus que le sujet lui-même.

 

Les aquarelles de  Turner ont ceci de particulier que le peintre puise son inspiration dans les éléments eux-mêmes en délaissant toute description pittoresque et réaliste du paysage.

Un regard du dedans.

Expérimentant la force des éléments, Turner restitue l’énergie de la nature en éprouvant directement le ressenti qu’elle produit en lui. Cette projection vers l’extérieur d’émotions produites par le corps soumis aux éléments place la lumière comme un élément central et unique à l’époque.

 L’absence de contenu narratif permet de saisir l’éblouissement produit par la lumière.

Ainsi, la transparence surgit de la blancheur du papier et envahit l’espace d’une lumière que le tableau diffuse en son centre. L’épure gagne les dernières aquarelles réalisées par le peintre en substituant au sujet peint une harmonie où s’entrecroisent le net et le flou, sans repère géographique repérable par l’œil du spectateur. Nous sommes ainsi invités à livrer la vision intérieure et imaginative que la couleur éblouissante produit. L’aquarelle ne semble avoir pas d’autre finalité qu’elle-même, réduite à quelques lignes sublimées par le soleil ou sa réverbération sur l’eau. Venise est la ville qui permet cette expérience picturale. En aplanissant les effets de profondeur, Turner obtient que la couleur se saisisse de l’atmosphère de la ville sur l’eau. L’effet est reproduit dans les aquarelles qu’il consacre à Londres et la Tamise. 

Le décentrement de l’attention du peintre du sujet vers l’expression de l’émotion ressentie accentue l’absence de récit dans la peinture qui place au centre des effets de lumière intense ( jaune,rouge ). La luminosité maximale est obtenue, en réduisant les plans pour ne garder que la source d’où elle naît.

Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature

 Ainsi les formes apparaissent-elles diluées dans la lumière pour que ne subsiste que la lumière dont la force est obtenue par la pureté du blanc. Le principe est celui d’une simplification et d’une économie des moyens qui paradoxalement crée l’éblouissement… comme à partir de presque rien.

Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature

Un peintre précurseur de l’art abstrait.

Turner préfigure l’évolution de la peinture au XX° qui se débarrasse de toute représentation anecdotique d’un sujet pour ne conserver que l’aura produite par la lumière. On sait que John Ruskin fut l’un des plus fervents défenseur de Turner, qui établit d’ailleurs l’inventaire des œuvres sur papier de sa succession. Il fut témoin du protocole du peintre qui commençait par des croquis qu’il retravaillait ensuite dans son atelier, menant de front plusieurs œuvres sur papier. Il valorisa la technique de Turner qui déporte le regard du spectateur en-dedans de lui, afin que naisse la possibilité d’une co-création dont il sera largement question jusqu’à nos jours.