» Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d’exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements et c’est de cela que j’ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie. »
Françoise Héritier, première femme anthropologue à succéder à Claude Levi-Strauss au Collège de France , signa en 2012 un petit ouvrage pour le moins particulier. On la connaît pour son travail déterminant de déconstruction des stéréotypes du masculin et du féminin. On sait les missions de recherche qu’elle a menées en Afrique. On ne l’attendait pas dans cet éloge de la vie simple qui égrène des moments de grâce légère qui sublime le quotidien. L’ouvrage tisse la trame d’une vie au-delà des engagements et des occupations universitaires. Bref, ces associations de pensées qui forment un tout hétéroclite et joyeux font faire « un pas de côté » et souligne la consistance de l’existence hors des satisfactions exceptionnelles. Le fait d’exister lui suffit à exprimer sa joie d’être au monde, ce goût pour la vie, immotivée mais pas insipide. Chaque grain de sel est contenu dans la nudité élémentaire d’instants captés avec sensualité, sensibilité et souvent …gourmandise.
Il me vient naturellement à l’esprit la distinction que faisait Clément Rosset dans La joie et son paradoxe ( 1995 ) entre « d’une part les joies de la vie, et d’autre part la joie de vivre ». Ainsi le sel de la vie célèbre tout aussi bien les petits bonheurs fugaces que la sensation plus stable d’exister. Nager dans un lac serait alors aussi vivifiant pour le psychisme qu’un évènement bouleversant et longtemps attendu.
France Culture a l’excellente idée de proposer une lecture quotidienne du Sel de la vie de Françoise Héritier. A écouter ou podcaster !!
L’ouvrage, concis est composé de lettres adressées à un ami – lequel ami est aussi son médecin qui la soigne en raison d’une maladie auto-immune contractée en Afrique, ce, depuis trente ans. La forme privilégie le vagabondage de la pensée si cher à Montaigne et témoigne de la capacité à s’émerveiller de la vie dans ses futiles mais nécessaires fantaisies. Françoise Héritier est troublante de malice, émouvante en ce qu’elle s’excuse par avance d’ennuyer « grâve » son lecteur. – je cite.
On se prend au jeu de cette énumération qui prend fin de la façon la plus aléatoire. On pourra objecter que cette liste de petits moments subtils ne présente d’intérêt que pour celle qui les vécut. Mais l’expérience à laquelle elle se livre présente une invitation à lui emboiter le pas et s’ouvrir en conscience à l’existence tandis qu’on la consigne à notre tour dans des carnets de vie. L’expérience intime est soluble dans l’expérience universelle d’exister. En consentant à vivre l’ordinaire sans mépris, nous cultivons notre appétence pour la vie simple. L’épreuve du confinement a ramené l’individu aux limites de son espèce. Il a fallu déployer notre regard dans un espace exigu et admettre que l’essentiel n’est pas de se décentrer de soi-même pour courir le monde mais bien de s’essayer à habiter le présent.
Photo jointe : Jacques Henri Lartigue
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