Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature

 Le point de départ , la prise de conscience

Richard Powers narre cette anecdote qui bouleversa sa vision des arbres et du monde tandis qu’il se trouvait en 2012 en Californie comme enseignant à l’Université de Stanford.

Au cours d’une promenade dans la Redwood Forest, la forêt des séquoias géants qui borde la Silicon Valley, l’universitaire raconte avoir connu une révélation quasi mystique. L’essor exceptionnel de ce vivier des hautes technologies ne lui apparu possible qu’en regard des arbres gigantesques et ancestraux qui composaient la forêt secondaire au sein de laquelle la ville San Francisco était sortie de terre.

Richard Powers dit être tombé par hasard sur un séquoia, ancêtre probable de la forêt originelle, un arbre plus « large qu’une maison, de la hauteur d’un terrain de football, et aussi vieux que le Christ ». Il est de ses propres mots bouleversé. Sa curiosité le porte alors à enquêter sur une réalité effarante. 98% des quatre immenses forêts primaires américaines ont aujourd’hui disparu, victimes d’une déforestation abusive et sans scrupule. Cet évènement fondateur dans son changement de vie radical l’entraîne alors à s’établir en bordure du Parc National des Greats Smoky Mountains, dans le Tennessee afin d’être au plus près des vestiges de la dernière forêt primaire aux Etats-Unis.

De cette cohabitation heureuse et consciente avec la nature, naît un roman qui connait un réel succès , roman politiquement engagé et dystopique alors qu’il est loin d’imaginer la portée des décisions prises par Donald Trump pour donner plein espace aux industries minières et pétrolières dès 2016. Ce roman dont l’intrigue se déroule dans les années 1990 , devient d’une actualité criante. L’arbre -monde est ainsi le douzième roman de l’écrivain américain, il reçoit le prix Pulitzer de la fiction.

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Un récit d’arbres et d’humanité.

Dans un style métaphorique, le roman dépeint le parcours de neuf personnages dont les destins vont se lier autour du combat essentiel de la cause environnementale. Le livre est l’histoire d’une prise de conscience, un récit d’arbres et d’humanité qu’il est bien difficile de résumer tant le roman est foisonnant et ingénieux. Quatre parties composent l’intrigue «  racines », « tronc », »cimes » et « graines ». Les histoires de Nicholas, artiste dépressif dont le rêve fut de maintenir en vie d’un des derniers châtaigniers d’Amérique, de Neelay, fils d’immigrants indiens devenu tétraplégique suite à la chute d’un arbre et auteur d’un jeu vidéo inspiré par les débordements du vivant, d’ Olivia, qui pense communiquer avec la nature, ou de Patricia , sourde , garde-forestière et dendrologiste, auteur d’une thèse révolutionnaire sur la manière dont les végétaux interagissent , se retrouvent liées par une seule . Le roman offre un intérêt philosophique et scientifique autour de la question de la façon dont la nature pense,se pense, se parle à elle-même et s’organise sans avoir recours à la Raison.En abordant la communication  du Vivant, l’écrivain fut considéré comme l’écrivain du réseau et de l’attention avec l’interconnexion au cœur de la nature végétale.

(Patricia) se remémore les paroles de Bouddha: un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l’ombre aux bourreaux qui l’abattent.

Richard Power dans L'arbre-monde

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 Un plaidoyer pour l’humanité qui paradoxalement exclut l’homme du combat.

 De façon plus globale , L’arbre-monde est un brillant plaidoyer pour la biodiversité. Il condamne l’ethnocentrisme américain qui entretient avec le Vivant une relation pervertie et coupable. Reconnaissant que les parcs nationaux en Amérique sont une excellente idée, Richard Powers souligne encore et toujours que cela n’empêche pas les effets désastreux d’un capitalisme dérégulé qui fait de la recherche indéfinie du profit l’unique positionnement viable à notre époque. L’humain « est le plus problématique des mammifères » qui pense trouver les moyens de sa propre survie dans la radicalisation d’un pillage organisé du Vivant. Le roman bien qu’excluant l’homme, paraît paradoxalement comme un vrai roman humaniste.

Le roman a été traduit de l’Anglais par Serge Chauvin, aux éditions Le Cherche Midi.

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Des arbres en exemple

Selon Richard Powers, nous sommes « les seuls à considérer la nature comme une ressource », ce qui conduit inévitablement au déséquilibre auquel nous assistons. Ce sont les termes qu’il emploie dans l’interview qu’il donna au Point Référence  – juillet-aout 2020. Les arbres nous donnent une leçon de vie incroyable par la coopération et l’entraide qui définit une existence interdépendante qui les relie au ciel et à la terre. Ils sont capables de s’alerter face à un danger, de partager leurs ressources, de produire leur propre insecticide pour garder l’un des leurs, vivant. Les plus fragiles reçoivent des arbres qui l’entourent sous terre, des sucres et de l’hydrogène et bénéficient de la complexité organisée d’un réseau d’arbres qui le maintiennent en vie.

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Ce modèle devrait nous inspirer un rapport différent non seulement à la Nature mais aussi aux plus fragiles de nos semblables. L’acte posé est celui d’une solidarité qui assure la cohésion du groupe et consolide les liens. Nos repères mentaux doivent s’adapter et nos certitudes accepter de se laisser bousculer. La nature ne donne-t-elle pas un exemple d’une relation éthique qui rejette l’exploitation des hommes et des énergies naturelles ?

Les connaissance des réseaux qui animent la nature font état d’une intelligence du Vivant, vaste écosystème qui nous inclut . « En somme, nous appartenons au monde des arbres… et non l’inverse » rappelle Richard Powers dans l’interview qu’il donna pour le numéro « Le Point Références » consacrée cet été aux textes fondamentaux sur le thème de l’homme et la nature.