La récente exposition dédiée à Charlotte Perriand à la Fondation Louis Vuitton a permis de redécouvrir le travail de cette artiste designeuse majeure du XX° siècle qui s’est fait connaître dans les années 20 et collabora avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret pendant une dizaine d’années.
Il est légitime de lui rendre un hommage admiratif tant son œuvre bouleversa notre rapport à l’espace en plaçant le sujet comme priorité sur l’objet. L’objet ainsi doit être utile car selon elle, l’équipement et l’architecture, loin de se tourner le dos, oeuvrent dans une étroite unité.
L’époque est aux petits espaces – chambres d’étudiant – et l’espace nécessaire impose de penser l’espace créé comme co-dépendant de l’utilité qu’on prête à l’objet et du lieu dans lequel on l’inscrit
La bibliothèque pour la Maison de Tunisie
C’est ici de ses fameuses bibliothèques dont je veux vous parler, en particulier celle pour la Maison de la Tunisie. Une bibliothèque est forcément chargée d’enjeux symboliques et affectifs, en ce que le lecteur passionné trouve un réconfort à ranger, trier, remanier les livres qui y figurent. Ils sont les notes qui composent la partition où il fait bon de perdre. Pourquoi Proust est-il rangé à côté de Todorov ? Est-ce une invitation à relire La Recherche selon les principes stricts du Structuralisme ? Et pourquoi Montaigne côtoie-t-il de si près Le Clézio ? L’accumulation verticale elle-même des livres dresse un équilibre douteux mais engage à une exploration de plusieurs heures.
La bibliothèque ne supporte pas l’espace vide. Et c’est à peine si elle n’étouffe pas ceux qu’elle contient
Mais pour Charlotte Perriand, il en va tout autrement.
L’objet : un espace aérien et ouvert
Les casiers métalliques « à plots » sont pris entre les étagères. Des tablettes en bois de couleurs vives assurent la ponctuation d’un espace qui demeure ouvert et aérien, léger comme une mélodie dont les couleurs seraient les modulations sonores. Le montage est facile et accessible puisqu’il réside dans l’art de la combinaison qui peut être déclinée à l’envie. C’est durant son séjour au Japon pendant la guerre, que Charlotte Perriand, fasciné par le pays, trouve l’inspiration du « module ». C’est ainsi que deux plans se définissent l’un par rapport à l’autre « le plan libre » et « la façade libre », ce qui permet d’organiser l’espace selon une musicalité inspirée. Les modules en effet soutiennent le rythmique de l’objet qui semble en mouvement dans la discontinuité des casiers en aluminium. Le meuble incite à se mouvoir librement autour de l’objet fixe de sorte que l’espace lui-même paraît en mouvement.
Et « puisque toute chose vivante bouge », Charlotte Perriand vient briser la conception du meuble comme repère stable d’une vie. En accomplissant cet écart intense à la tradition de la bibliothèque murale, elle pose le principe de mobilité et d’inventivité comme extension d’une philosophie de la vie, laquelle engage le sujet à laisser le vide…être
Cette bibliothèque n’est pas conçue pour contenir les livres de toute une existence. Elle laisse de la place à l’incertain, la place au livre rêvé qui n’est pas encore advenu… et qui, de fait, reste indéfiniment à s’inscrire dans l’espace laissé par l’objet. Le vide assure une heureuse respiration, qu’on pourrait apparenter à celle des méditants. Le vide laissé par les modules nourrit notre rêverie. Ils sont une invitation au voyage.
Le choix de couleurs primaires.
La sobriété colorée rappelle les tableaux de Sonia Delaunay dont l’artiste avoue l’influence dans la conception de ces bibliothèques. C’est avec elle qu’elle choisit la couleur des casiers et des portes coulissantes, utilisant les couleurs primaires, rouge, jaune et bleu, qu’elle tempère avec le noir. On est séduit par la grâce légère d’un mobilier qui place le sujet au centre. Un vrai vent de modernité…accompagnent cette création.
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