Je concède bien volontiers que la démarche qui consiste à faire l’éloge de la douceur peut surprendre. Nous sommes en effet à l’ère de la quasi dénaturation de l’humain, ère du profit et du « toujours plus » qui impose de se battre pour des désirs devenus « besoins ». L’élite ne porte pas d’autre espoir que d’engager sans soutien aux plus fragiles, une quête personnelle de ce qui rend victorieux et croit-on, heureux.
Et pourtant, la douceur est un besoin primordial qui seul permet au nourrisson , s’il est entendu et exhaussé avec amour, de survivre et de se développer. Sans cette douceur d’abord corporelle du peau à peau, l’individu qui vient au monde risque de mourir. C’est dire la puissance du lien qui, par l’introduction de rituels dont la mémoire s’approprie , va bien au-delà du besoin de se nourrir. Boris Cyrulnik souligna le phénomène en se référant à la tragique réalité des orphelinats sordides sous Ceaucescu en Roumanie. Privés du lien affectif fondateur et fondamental, ces nourrissons ne survivent pas. A la malnutrition ou la dénutrition, il faut ajouter un facteur primordial : l’absence du lien affectif, qui précipite la mort précoce des nourrissons.
Paul Valery soulignait avec justesse, quant à lui, l’importance de la peau comme immanent à notre condition d’être vivant. Cela est si vrai qu’un seul effleurement de la main sur une épaule peut impulser chez celui qui reçoit cette caresse l’élan d’agir, de dépasser ses peurs. Naît un bonheur instantané dans la sensation tactile de se sentir considéré dans son être, compris dans ses incertitudes
En nivelant les distinctions entre le maître et l’apprenant, la douceur introduit un lien de confiance dans la démarche pédagogique ou éducative. Procéder avec douceur revient en effet à reconnaître en l’autre la capacité à se déprendre des conditionnements imposés par la culture de masse qui impose une démarche conquérante et pragmatique comme seule voie à la réussite de soi. C’est ainsi qu’en opposant la douceur à la norme que la société construit et pérennise, on crée les conditions d’une vraie révolution au sein des relations entre les hommes et les femmes, entre les « sachants » et les ignorants. Ces derniers mois ont été malheureusement riches en questionnements autour de la masculinité et de la prédation. Le mouvement « me too », certaines parutions littéraires ont placé le sujet au cœur des considérations en tous genres. Or le modèle sociétal actuel exacerbe les distinctions aux dépends des femmes et de quelques hommes qui ne se reconnaissent pas dans le modèle culturel dont ils héritent. La douceur pourtant est une force vive. Elle permet à l’homme de s’émanciper des codes de la masculinité hérités de la Préhistoire. Elle permet aux femmes par ricochet de s’émanciper du carcan domestique auquel elles ont été rattachées malgré les avancées réelles dont elles sont les actrices. Il ne s’agit pas de se dresser les uns contre les autres. La douceur n’est pas sexuée et la notion peut s’avérer une force de tempérance contre les abus de pouvoir en tous genres. Gandhi , en se faisant le chantre de la non-violence a montré la toute -puissance d’une attitude qui refuse comme seule réponse à l’agressivité subie un acte violent posé en retour.
La douceur n’est pas la lâcheté mais une dimension humaine qui vise à consolider et participer pleinement au développement de notre humanité. Il n’y a pas de lâcheté pour un homme à être dans la douceur en ce que c’est la seule voie qui puisse réconcilier les femmes avec le sexe masculin. La douceur peut ainsi aider l’humanité à se libérer des dictats fruits d’ une transmission transgénérationnelle. Ainsi, la « puissance de la douceur » selon le très beau titre qu’Anne Dufourmantelle, philosophe et analyste donna à son essai paru chez Payot réside dans un paradoxe qui est porteur de vie et de poésie. « La douceur est un rapport émerveillé à la pensée » écrit -elle. Et d’ajouter que « ce qu’on appelle aujourd’hui dépression es l’un des modes majeurs de ce déni du besoin de douceur ». C’est dire l’urgence à repenser la douceur comme un des vecteurs par lesquels l’humanité peut se guérir des maux qui la gangrène.
Commentaires récents