Un oiseau noir en littérature

Du bon usage des crises

« Ne soyons pas si mesquins, et disons du bon usage des crises, catastrophes, drames, naufrages divers. J’ai gagné la certitude, en cours de route, que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire. Et le pire, comment pourrais-je exprimer ce qu’est le pire ? Le pire, c’est bel et bien d’avoir traversé la vie sans naufrages, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé au bal des ombres, d’avoir pataugé dans ce marécage des on-dit, des apparences, de n’avoir jamais été précipité dans une autre dimension. Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu’on a encore trouvé de mieux, à défaut de maître, quand on n’en a pas à portée de main, pour entrer dans l’autre dimension. Dans notre société, toute l’ambition, toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d’interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur.(…)

C’est une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration contre l’âme, contre l’esprit. Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer dans la profondeur, il n’y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l’arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être. …  »

Conférence prononcée le 15 juin 1991 à l’occasion du dixième anniversaire du Centre Dürckheim.

Ce texte bouleversant de Christiane Singer interpelle chacun de nous, dans la crise sanitaire économique et humaine que nous traversons. Elle nous porte à regarder en face la vie et nous requestionner sur notre place d’homme au sein du vivant.

 Toute crise, dit-elle est salutaire. Elle nous sauve de la cécité et des habitudes qui nous imposent le « divertissement » comme seule issue possible à l’absurdité du monde. Les désastres de la vie nécessite, de ne pas rester en surface des choses de la vie mais de s’y confronter dans un élan collectif et une volonté de changement radical, et parce que radical, salvateur

Les crises sauveront l’humanité si nous savons en tirer leçon : ne pas renoncer, réinventer des actions neuves, l’esprit libre et sans feinte. Tenir sa promesse et faire sa part dans nos vies d’hommes sur terre.

 Sa conviction nous engage. C’est rappeler notre devoir d’homme, simplement.  Les initiatives germeront, enracinées dans la conscience unie. Nous n’avons plus le choix de la vie à mener si nous voulons préserver ce qui nous englobe et nous engendre. Nous devons agir sans attendre et abattre les manipulations en tous genres qui nous font croire qu’on peut remettre à plus tard ce qui nous tient ENCORE… en vie.

« Il n’y a qu’un crime, c’est de désespérer du monde. Nous sommes appelés à pleins poumons à faire neuf ce qui était vieux, à croire à la montée de la sève dans le vieux tronc de l’arbre de vie. Nous sommes appelés à renaître, à congédier en nous le vieillard amer ».

Derniers fragments d’un long voyage.

Christiane Singer

Un oiseau noir en littérature