Nul ne peut atteindre l’aube sans
passer par le chemin de la nuit »
Prophète sans religion et poète libanais, Khalil Gibran, délivre des perles de sagesse pour un monde tombé dans sa propre obscurité et ajoutons – son propre obscurantisme. La métaphore résonne ici avec une justesse hélas tragique dans sa référence avec la situation dans laquelle se trouve plongé le Liban, livré à la corruption et à la famine.
Au-delà, il y a dans ces propos une verticalité qui pose l’épreuve comme la matrice nécessaire à la force du levant. La lumière comme lieu de la révélation, de la joie, de la beauté ne saurait exister sans le passage contraint par l’ombre et donc l’expérience de la souffrance. Les ténèbres emplissent ainsi la conscience et laissent parfois prostré, excentré du monde et de ses joyaux. L’aurore n’a pas lieu dans l’âme d’un être absorbé par la désolation. Inconsolé, il ploie sous la rudesse des incertitudes qui le consume. Mais cette part par laquelle il se brise est pourtant la condition paradoxale d’une renaissance, un élan vers l’en-dehors, une déliaison heureuse de sa propre léthargie.
Ce retour au réel ne va pas sans l’acceptation de l’impermanence de la vie et des épreuves qui la composent. Il ne va pas non plus sans une reconnaissance de la complexité de nos consciences. Une remise en question s’impose parfois pour qu’advienne cette lumière. Qu’on parle d’instinct ou d’intuition, il s’agit de laisser entrer l’inconnu en nous, de s’en laisser traverser. C’est de cet élan « vers » que nous orientons notre capacité de réparation. Le prophète ainsi propose une combinaison subtile entre le dépassement conscient et partiel du traumatisme et le souci de se retrouver « soi » dans le Vivant.
Certes, laisser passer la lumière dans les stries de la nuit de l’âme suppose une confiance inconditionnelle dans la Vie. Ce n’est pas aisé mais cette difficulté rend à la vie le miracle qu’on n’osait plus attendre.
Laisser entrer la lumière, c’est reconnaître au monde sa Beauté oubliée. C’est se laisser porter par la simplicité d’un chant d’oiseau, le bruissement des feuilles, la lune d’été. L’épreuve en somme garantit le retour à la lumière, elle est la médiation et la remédiation tout à la fois. En ce point d’un non-retour consenti , une étrangeté forte décentre peu à peu du malheur, élève et structure.
La reconstruction ouvre alors un champ d’actions à l’ épreuve du monde. Partant du cœur, l’élan trace la voie vers l’essentiel que nous n’attendions plus. Dans le ciel obscurci du soir, il y a les bateaux des pêcheurs, une odorante brise maritime, le cri retentissant des râles d’eau … Il y a cette lumière presque blême sur l’eau d’un lac qui fait sens… quelque indicible clarté éblouissant de Vie.
C’est dans la rosée des petites choses
que le coeur trouve son
matin et se rafraîchit
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