Marguerite Duras n’a eu de cesse de revenir à l’événement fondateur de son oeuvre – la mère , le barrage contre le pacifique , le petit frère, l’amant chinois, les rizières indéfiniment emportées par les éléments, l’Indochine, la mère.
Sur la photographie, une jeune fille de 15 ans et demi attend son amant , un riche chinois, son premier amour . Avec lui, la découverte d’une transgression sociale, politique, qu’elle souligne d’un chapeau de feutre d’homme et d’une paire de chaussures de soirée à talons. Elle n’ oubliera pas. Lui non plus. Bien des années après , il se souvient. La voix au téléphone exprime une réalité intacte.
L’amant couronna de succès populaire l’écrivain déjà âgé qui renoua en 1984 avec une forme de narration proche de l’autofiction. L’esthétique de fragment y demeure pourtant. L’écriture « irrégulière » est davantage conduite par l’émotion que par la vraisemblance narrative qui impose la chronologie . L’amant contraste donc avec le cheminement de l’auteur qui n’avait jusqu’à l’amour cessé d’épurer le texte jusqu’au vertige de la page blanche et du vide.
L’Indochine s’impose à nouveau comme origine de toute une oeuvre, qui naît à Sadec. Il y est question, dans les décrochages temporels que permet l’usage du présent, du « désespoir si pur » de la mère, figure centrale, et de la transgression par la passion amoureuse. Le temps de l’histoire se confond avec le moment de l’écriture qui sans cesse explore l’émotion et ses variations. C’est le sujet de toute une vie , dire la « douleur et la joie » d’une mère portées par l’écrivain toute sa vie, les lieux de l’amour, les lieux de l’enfance, les lieux d’une photographie qui advient dans l’écriture.
En cela, L’amant est le livre de la « photographie absolue » , celle de cette rencontre amoureuse. De l’ absence d’image , elle tire un récit qui dilue dans l’autofiction l’évidence de l’instant , l’évidence de l’amour sans le désenchantement et l’amertume que le temps peut produire. Les amants, après une vie à écrire et à vivre retrouvent l’exactitude de l’émotion amoureuse intangible, indicible. Car c’est bien de cela dont il s’agit chez M. Duras , dire l’indicible, tant parfois, que le mot se mût en cri comme dans le Vice-consul .
L’amour dans L’amant échappe au temps, à la mort. L’écrivain exprime en ces termes tout son mystère : » Cet amour insensé que je lui porte reste pour moi un insondable mystère (….) j’avais oublié la mort ». Ainsi la rencontre demeure-t-elle du domaine du toujours possible puisque l’écriture l’a soustraite au temps et qu’elle reste à imaginer.
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