L’automne s’invite et l’occasion est à nouveau posée de faire l’expérience esthétique de la saisonnalité. Les arbres, les vignes, les soirées un peu fraîches, tout concourt à ce que nous nous immergions dans un espace coloré et que nous y fassions naître l’exigence du temps présent. Le couvre-feu quant à lui, en ces temps tourmentés rappelle l’impermanence de notre condition. Il est urgent de revenir à l’essentiel comme voie de résistance à l’encombrement de l’esprit. La Nature donc, toujours elle, permet par sa multi dimensionnalité de retrouver nos racines, de nous restructurer autour d’éléments vitaux tels que le soleil, l’eau, la terre. Nous bénéficions alors des leçons qu’elle donne. Les arbres communiquent et ce langage complexe s’exprime dans la disposition des forêts, la coordination entre les espèces.
En nous consacrant à cette observation, nous découvrons combien l’éthique face au Vivant se trouve intrinsèquement lié à la puissance de ce que nous percevons comme Beau. Pour ce qui est de l’environnement, il est alors certain que le point d’équilibre est atteint quand l’individu se meut subtilement dans le paysage dont il détaille la grâce et l’équilibre.
Ces expéditions automnales, quant à moi, me conduisent toujours au même constat. L’éthique seule présente l’inconvénient d’une certaine coercition mais la force de la Nature peut au contraire susciter des comportements de conservation qui dépendent du goût prononcé que j’ai pour elle. Je n’éprouve alors pas la main mise sur ma liberté puisque ma sensibilité exacerbée par les éléments autorise ce remaniement intérieur. La senteur des fleurs, la texture de l’herbe, la tiédeur de l’air offrent un continuum d’expériences rudimentaires certes mais puissamment multisensorielles. C’est de cette expérience que je peux renouveler chaque jour que je me sens partie prenante de la VIE NATURELLE.
Il me vient également à la pensée ce très beau texte de Thoreau qui passa deux années, deux mois et deux jours de sa vie, immergé dans un état qui fut le plus proche de la Nature. Dans Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854, l’auteur américain rapporte cette expérience qu’il vécut au bord de l’étang de Walden, dans le Massachussetts. Loin des contraintes de la civilisation, il fit le choix d’une vie simple et rustique, jusque dans l’habitat qu’il se fabriqua. Dans sa cabane, il se consacra à l’écriture, notamment celle de son Journal. Le dialogue avec la Nature lui ouvrit la voie d’une expérience intensément spirituelle. Il calqua le rythme de sa vie sur celui de la Nature et s’immergea dans l’expérience d’un présent pur. « Le matin, écrit-il, c’est quand je m’éveille et qu’une aube est en moi ». En s’intégrant dans une temporalité que la Nature lui impose, il fit corps avec elle et la prolongea en lui. L’expérience de l’instant présent pleinement vécu fait sens aujourd’hui. Lecteur passionné par les ouvrages naturalistes, l’écrivain mena durant cette période une vie assez contemplative, cultivant ses propres légumes et faisant corps avec la forêt.
« Si je suis venu au monde, ce n’est pas pour le transformer en un lieu où il fait bon vivre, mais pour y vivre ».
Il n’est de fait, pas étonnant que l’auteur fascine autant à notre époque. Considéré comme le premier écologiste, il pose le principe de la décroissance et de l’autosuffisance comme garantie de son indépendance et de sa liberté. Souvent considéré comme l’expression d’un Romantisme américain, sa prose n’exclut pas une réflexion sur la civilisation et le luxe. « Travaillerons-nous toujours à nous procurer davantage » ? La question sonne juste tandis que nous vivons actuellement la faillite d’un système dont nous sommes les producteurs autant que les consommateurs efficaces et sans limites. L’altération des ressources naturelles dont notre espèce est responsable engage à considérer notre rapport au monde autrement. En défendant le principe de l’individu singulier et autonome, Thoreau envisage une vie minimaliste qui contredit l’idéal capitaliste du profit exponentiel. A méditer sans doute … sous un rayon de soleil au cœur des vignes.

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