Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature

Nous sommes spectateurs ici comme nous semblons regardés par le sujet.

La fascination de Picasso pour les circassiens

Il s’agit de Paul, appelé aussi affectueusement par son père » Paulo ». Picasso en fait ici le portrait alors qu’il est âgé de 4 ans environ, durant une période de la vie du peintre harmonieuse et stable. La fécondité de son inspiration de l’époque doit beaucoup à l’univers circassien qui fascine les avant-gardistes du XX° siècle. Pour Picasso, ces nomades sont les véritables rêveurs, les messagers d’un élan vers l’imaginaire, d’une évasion hors du temps, dans une féérie savamment orchestrée. On sait combien Picasso admira le cirque Medrano et combien les saltimbanques jouèrent un rôle majeur dans son inspiration de l’époque. Les gens du cirque incarnent l’essentielle humanité et ceux qu’il peint expriment par leur regard une profonde solitude et une certaine inquiétude. Elle est le fait peut-être de l’incertitude des lendemains, d’une subversion difficile à assumer en des temps où il faut produire pour exister.

Paulo peint par son père

On voit sur cette toile un petit garçon sagement assis sur un fauteuil dont le revêtement est sombre, qui contraste avec la pâleur évanescente du visage. Un jeu de correspondances permet de saisir d’une part le chapeau et le fauteuil, d’autre part l’arlequin dont le costume est composé de multiples morceaux de tissus colorés C’est là un rappel à la pauvreté initiale de l’Arlequin qui dans la Commedia dell’ Arte était une figure indispensable au canevas des improvisations fort appréciées du public.

Picasso- période bleu-rose

La toile semble classique mais à bien regarder, elle semble moins académique qu’elle n’y paraît. Elle semble inachevée. Le dessin du fauteuil est laissé en suspens, les pieds de l’enfant sont à peine esquissés. C’est dans cet inachèvement que s’affirme la liberté du peintre qui sait s’affranchir des codes pour imposer son propre regard au spectateur. Ainsi dira-t-il « je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense ». On est ici encore fort loin de la tentation vers l’abstraction qui fait du peintre un adepte du Cubisme. Mais Picasso ne peint pas à proprement parler ce qu’il regarde. Il peint l’amour dans sa forme la plus entière.

Peindre le sentiment et l’émotion

Ce qui émeut dans ce portrait, c’est moins l’impression d’inachevé qui laisse au spectateur de la place à sa propre rêverie que le regard et l’attitude du petit garçon. Il est en effet dans un équilibre instable et cette instabilité renvoie à la fragilité de l’enfance. Le regard est sérieux mais que se passe -t-il dans ce regard ? Le portrait suggère un léger vacillement qu’exprime la position de l’enfant mais aussi le visage attendrissant et doux. Il y a dans ce portrait l’amour d’un père pour son enfant. Ce qui est peint est moins un Arlequin ou un enfant déguisé en Arlequin que la tendresse mutuelle d’un fils et d’un père. Une humanité profonde est engagée dans la toile, une complexité dans les rapports fils-père, immémoriale, universelle. On sait que les relations entre Picasso et Paulo qui devint par la suite le chauffeur du peintre ne furent pas aussi miraculeusement tendres que le tableau semble le montrer.

Mais c’est bien le regard baigné d’amour du peintre qui saisit l’enfant dans sa fragilité, semble en extraire l’indicible beauté qu’ont les enfants pour leurs parents. Le tableau dit plus que le sujet qui s’y trouve peint. Il dit les liens inconditionnels, l’élan de vie incarné par Paul, la quintessence de l’instant figé dans la tendresse du jour.

Un oiseau noir en littérature
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