» A flancs de coteau du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. A l’époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d’une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l’auréole de clarté serait de parfum, elle s’en va, le dos tourné au soleil couchant.

Il serait sacrilège de lui adresser la parole.

 

L’espadrille foulant l’herbe, cédez-lui le pas du chemin.

Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la Chimère de l’humidité de la Nuit ?

 

"Congé au vent" - René Char

Un oiseau noir en littérature

Ce poème en prose magnifie l’apparition d’une cueilleuse de mimosas dans les champs embaumés qui s’en retourne au village après une journée de récolte.

L’instant domine ici dans lequel rien ne se produit que le sentiment d’une appartenance heureuse au monde parce que transcendée par une rencontre de hasard. C’est souvent « soudain » que chez René Char, la réalité prend forme dans une fulgurance lyrique que les mots agencent. Ici, l’extraordinaire est saisi dans l’ordinaire quotidien des hommes et des femmes. Parler serait « sacrilège » tant la beauté de l’instant prend son essence dans le silence même, l’absorption du monde et de la femme dans le regard qui lui donne sa consistance et son caractère unique.

 

Un oiseau noir en littérature

Que faire alors sinon perdre l’instant !

 « Cédez-lui le pas du chemin » résonne comme un conseil laconique et volontaire pour qu’adviennent la présence et le réel. C’est dans cette lumière du soir que la beauté du moment apparaît, clos sur lui-même, maintenu à distance, reconnu dans sa perfection sensible. Il est un point dans le temps, détaché, prompt, condensé, mais vibrant de forces sous-tendues.

 J’ose le dire. J’aime à lire et relire ce poème de Char pour faire réapparaître l’émotion contenue, ramassée en elle-même, concentrée.  Que dire encore si ce n’est que dans la délicatesse de l’évocation, René Char inscrit un point de force, une densité qu’il accorde aux parfums, aux branches de mimosas, à la femme, au soleil couchant, aux « espadrilles foulant l’herbe ». Le poème s’achève sur la résurgence du fantasme, « la Chimère » qui fait de la femme la dépositaire indécise de notre imagination de lecteur. Nous restons là, attentifs à recueillir la possibilité de recevoir dans un élan la présence sacrée de la Nuit ».