Le regard a des vertus qu’on ne saurait contester. Sur cette photographie justement célèbre de Steve Mcurry, « la jeune Afghane aux yeux verts », le spectateur se trouve plongé dans l’expérience vertigineuse du portrait. La composition de la photographie qui concentre l’attention sur la couleur des yeux, au-delà de la présence matérielle du sujet hisse la jeune fille hors du temps et acquiert une dimension proprement iconique.
Un cliché devenu célèbre
La photo a été prise en 1984 dans le camp de réfugiées de Nasir Bagh, au Nord du Pakistan. On sait qu’elle fut rendue célèbre car elle fit la une du « National Geographic » en juin 1985. La jeune fille a 13 ans à ce moment du cliché. Elle a perdu ses parents, tués au cours du conflit afghan qui dure depuis 1979. Elle est réfugiée avec sa grand-mère et son frère. On imagine aisément les kilomètres parcourus dans d’indignes conditions pour passer la frontière dans les zones tribales des montagnes du Waziristan. En cela, ce regard vert dit la condition tragique des réfugiés de guerre ? Force est de constater qu’elle en est devenue l’emblème, comme « Guernica « de Picasso qui porte la dénonciation de toutes les barbaries humaines.
Photogénie du sujet
Le regard, peut-être en raison de la couleur des yeux aussi nous fixe avec effroi, colère, détresse et exprime la tragédie de la guerre qu’elle fait parvenir jusqu’à nous. Le foulard rouge cadre un regard paradoxalement inquisiteur et « évitant ». Cet interstice met mal à l’aise le spectateur pris dans le fait de son voyeurisme qui accompagne pourtant une fascination. Là aussi, un paradoxe.
La beauté du malheur
La tragédie traversée fait naître l’absolue beauté photographique, définitive. Le sujet est certes photogénique. Encore fallait-il produire de l’émotion à partir de la sidération esthétique que la photographie produit sur le spectateur. Le photographe quant à lui, parle d’une adéquation parfaite des éléments ( fond, regard, lumière) à l’instant de la photo captée.
La photographie devient conteuse et témoin d’une histoire sans interprétation possible puisque faute d’interprète, le photographe ne connaît pas l’identité de la jeune fille.
Histoire d’une quête
L’histoire qui suivit, on la connait. Steve MCurry , fasciné par son modèle , passe près de 17 années à rechercher la femme dont le regard l’avait littéralement envoûté . Pour cela, l’équipe du National Geographic s’est muni de logiciels pour confirmer l’identité de la jeune fille devenu femme.
Aujourd’hui l’on sait Il s’agit de Sharbat-Gula qui serait née en 1972 et serait issue de la tribu des pères fondateurs de l’Afghanistan moderne : Les Pachtounes.
Voici des explications données par le photographe lui-même sur les investigations qui ont été menées : « Une sculpture a été faite à partir de la photo. Un autre artiste a tissé son portrait sous la forme d’un tapis. Plus que tout cela, son voyage a inspiré de nombreux Américains qui sont allés travailler avec les organisations caritatives, en Afghanistan et au Pakistan ». (Steve McCurry)
Il la retrouve en 2016 alors qu’elle fait l’objet d’une enquête pour détention de faux papiers au Pakistan et risque la prison. Une arrestation qui émeut le photographe qui déclare sur sa page Facebook « tout faire afin de fournir un soutien financier et juridique pour elle et sa famille ». Elle a pu retourner en Afghanistan la même année avec ses quatre enfants. Sur la photo , une femme très marquée par les tragédies de la vie qui ont continué et ont fait d’elle un symbole : celui de l’inhumanité dans laquelle nos semblables sont maintenus par l’Histoire.
Commentaires récents