On sait combien l’élan créateur de Colette fut longtemps dénaturé par son personnage Claudine, bridé par Willy. L’autobiographie y était déjà une marque de fabrique mais c’est avec Sido et les vrilles de la vigne que l’écrivain exerce librement sa mémoire, faisant retrouver à la femme de 56 ans les chemins de ses 12 ans. La figure du père, le Capitaine et celle de la Mère, « la passion » qui les lia leur vie entière. Mais ici, il est moins question ici d’évènements fondateurs, d’épisodes qui consacrent l’apprentissage du réel que de l’expression émue d’une symbiose avec la nature édénique à travers les leçons de choses de sa mère.
L’écriture de soi pour l’écrivain ainsi est une renaissance au monde tel que l’accordait autrefois « en récompense » sa mère. Tout émerveille la fillette, tout est grâce dans la rencontre avec l’aube. C’est là seul véritable évènement qui initie l’élan vers l’au-dehors et le pacte d’émerveillement que l’écrivain prolonge du jardin de la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye vers des terres lointaines  » un lieu envié d’où l’on découvre tout le ciel »,  » le bout de la terre ».
Colette ainsi nous entraîne vers l’univers mythique de la naissance, de la venue au monde par le regard renouvelé et stimulé par la Beauté de la Nature. Sido en est le centre, figure autour de laquelle gravite la famille. On peut ainsi dire qu’elle est l’incarnation de ce bonheur de voir, d’observer avec intensité et minutie la moindre violette « violettes à courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc bleu veiné de nacre mauve »- les vrilles de la vigne-. C’est dans la manifestation minuscule de la beauté que la mère permet à sa fille d’embrasser l’infini de la nature. Les saveurs originelles de l’enfance sont sublimées par l’écriture, qui passe par la reconnaissance essentielle des sens comme source d’enchantement qui doit beaucoup aux synesthésies.

Colette écrit Sido et enchante le lecteur.

 »  Je suis la fille d’une femme qui (…) ouvrit sa maison villageoise aux chats errants, aux cheminots et aux femmes enceintes.(…) Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui ne cesse d’éclore infatigablement pendant trois quarts de siècle. »

Colette - La naissance du jour.

« Tout ce chaud jardin se nourrissait d’une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d’un sentimental bonheur ou d’un éblouissement optique »

Colette à propos de sa mère - Sido

Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature
Un oiseau noir en littérature

« Chut…regarde », cette injonction maternelle, Colette s’en souviendra jusqu’à la fin de ses jours lorsqu’elle écrit : « Nous ne regardons jamais assez, jamais assez juste, jamais assez passionnément ». Exercer son attention à voir pleinement les détails de l’existence permettra à Colette de se composer un paysage intérieur et pouvoir s’adonner à une écriture de l’observation fine du réel.

Rien d’intellectuel en effet dans ses ouvrages mais le renouvellement incessant de l’expérience de la sensibilité dans la restitution des émotions. L’enthousiasme très communicatif de l’écrivain porte le lecteur à imaginer par quel processus la recherche du temps perdu lui a permet de retrouver le lieu de l’enfance. Le contact charnel avec les éléments s’accompagne d’une transfiguration par l’écriture qui fige la Beauté du monde pour nous la faire éprouver à notre tour.

Un oiseau noir en littérature