Enigmatique nouvelle que la nouvelle de Stefan. Sweig » le joueur d’échecs’ ; en ce qu’elle décrit l’enfermement et ses conséquences les plus brutales et les plus dangereuses.Le jeu comme origine de la monstruosité du personnage central intrigue, personnage bourreau et victime sans qu’il soit possible de dissocier ces deux postulations pourtant contraires. L’emprisonnement ou la restriction de l’espace vital y est présenté dans toutes les strates de la nouvelle : un récit enchâssé dans un récit cadre, deux récits enchâssés aux interstices du premier, une narration dont la structure est volontairement bouleversée faisant apparaître de subtils jeux de correspondances entre les motifs. Enfermement aussi dans les lieux du texte, le paquebot, la chambre d’hôtel, l’échiquier puis en l’absence de tout objet tangible du jeu , l’espace mental perturbé jusqu’à la folie – forme de schizophrénie qui repose sur la dissociation de soi – du joueur qui joue contre lui-même , ce que les termes même du jeu ne permettent pas . Dans l’absence tragique de tout repère accessible , dans un isolement contraint sans livre, sans musique , qui exclut toute échappatoire par l’activité de l’esprit, Czentovic , subit la forme la plus cruelle de la torture imposée par un régime totalitaire. Il y découvre et nous avec lui une des formes des plus raffinées et les plus abouties de l’aliénation par le néant . Ainsi agit un état de dictature dont on sait rien tant la nouvelle donne une impression d’atemporalité qui soustrait les faits à l’Histoire. Et pourtant l’année de parution posthume de la nouvelle- 1943 – est loin d’être anodine. Bref, le régime s’empare de la psyché de sa victime en forçant l’individu qu’elle est d’abord à penser contre elle-même dans l’exercice mental du jeu . C’est ainsi que l’état totalitaire dans ces pratiques engendre des monstres. Le fou est ici délirant . Le « roi sans divertissement » acquiert un ressentiment et un désir de vengeance qui proviennent du traitement même qu’on lui a infligé. Animé d’une haine sans justification et sans limite,le personnage du joueur rejoue indéfiniment le film de son interrogatoire. L’habileté diabolique dont il fut l’objet consiste non à torturer un individu mais à l’amener à se torturer lui-même , confiant l’exercice du pire à la victime elle seule. Ce que les tortionnaires savent susciter , et la nouvelle l’atteste parfaitement , c’est le retour inévitable d’un refoulé immensément destructeur , fruit d’une haine de soi obtenue avec persévérance dans un régime qui ne conçoit d’autres références que lui-même. La vision de l’humanité est tragique et dans ce récit manichéen , L’auteur ne semble pas conclure laissant au lecteur la voie d’une interprétation au-delà du caractère policé voire aristocratique du jeu d’ échecs. Le lecteur est conduit dans les abîmes de la psyché humaine, dans ses aspects profondément pathologiques et radicalement tragiques. On comprend mieux ce qui a conduit Stefan Zweig à s’intéresser aux travaux de Freud. On sort de ce récit avec une inquiétude que suggère la vision proposée de l’humanité par l’auteur. C’est le paradoxe de cette nouvelle que d’effrayer tout en permettant une nécessaire réflexion sur nous-mêmes. Quant à l’écrivain , il n’est que trop aisé de comprendre pourquoi , quelques mois après avoir achevé d’écrire ce récit , il décida de quitter le monde pour de bon.
Un oiseau noir en littérature
Comment un seul et même cerveau pourrait-il à la fois savoir et ne pas savoir quel but il se propose et en jouant avec les blancs oublier sur commande son intention et ses plans faits à la minute précédente avec les noirs.
Stefan Sweig dans le joueur d'échecs